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mardi 16 mai 2017

Dix règles à suivre pour redresser une entreprise en difficulté

Les dirigeants qui ont réussi ce genre d'exploit ont en commun un petit nombre de bonnes pratiques qui gagnent à être connues. Voici les principales.

La chaîne de brasseries Léon de Bruxelles, Canal+, la compagnie de réassurance Scor, la société informatique CS... Toutes ces entreprises se sont retrouvées, à un moment, au bord du gouffre : elles faisaient des pertes, croulaient sous l'endettement, voire (comme Léon de Bruxelles) passaient par une phase de redressement judiciaire. Aujourd'hui, elles se portent bien. Leur chiffre d'affaires est reparti à la hausse, elles dégagent des profits et leurs dettes ont drastiquement diminué. Leur image de marque est restaurée, la confiance de l'environnement est revenue. Par quel miracle leurs dirigeants ont-ils réussi ce tour de force ? En les interrogeant, nous nous sommes rendu compte qu'ils avaient mis en oeuvre des approches très similaires, indépendantes de la taille et du secteur d'activité de l'entreprise. 
Ces démarches se sont révélées - le monde est bien fait ! - identiques aux "meilleures pratiques" préconisées par les experts du retournement d'entreprise. Pour rendre le propos plus vivant, nous avons choisi de vous livrer ces best practices sous la forme de dix commandements. 

1. L'ampleur du problème, en face, tu regarderas

Walter Butler dirige la société de capital-investissement Butler Capital Partners, spécialisée dans le redressement d'entreprise. "En dix ans, nous avons analysé plus de mille dossiers d'entreprises en difficulté, à la demande des dirigeants, raconte-t-il. A chaque fois, ceux-ci tiennent le même discours : leurs soucis sont temporaires et tout ira mieux demain. Notre premier travail, très difficile, consiste à montrer au chef d'entreprise que sa boîte va bien plus mal qu'il ne le pense. Car on ne peut pas éradiquer un problème si on en minimise l'ampleur."
Même constat chez Michel Nepomiastchy, un chef d'entreprise qui, après avoir dû lui-même passer par un mandat ad hoc pour faire repartir sa PME, anime des ateliers "gestion de crise" au sein de l'association Re-créer. "Le message choc avec lequel nous accueillons les dirigeants, c'est : "Arrêtez de penser que l'activité redémarrera demain ou dans trois mois. Admettez que votre société est en crise et vous aurez fait le premier pas pour vous en sortir !""  

2. Ta foi en la guérison, tu clameras

"Une entreprise en difficulté, c'est une malade qui rend malade d'inquiétude tout le monde autour d'elle : salariés, banquiers, fournisseurs, clients, actionnaires." L'analyse émane d'un pro du retournement, Jean-Louis Detry. Il a à son actif une série de sauvetages, des disques Vogue à Léon de Bruxelles. Sa remarque résume bien le défi auquel fait face tout patron d'une société en état critique : convaincre ceux dont l'entreprise a besoin pour repartir que le rebond est possible.
"Quand j'ai pris les rênes de Canal+, tout le monde pariait que la société allait disparaître, raconte Bertrand Meheut. Il a fallu rassurer encore et encore." Pour cela, il a tenu le même discours que Denis Kessler, président de Scor, qui le résume ainsi : "Dire que, oui, il y a un gros problème, mais que ce problème est en voie de traitement !" 
Les cinq fondements d'une démarche efficace
1) Pour avoir des chances de repartir, l'entreprise doit opérer sur un secteur porteur. En ce début de troisième millénaire, une firme spécialisée dans l'exploitation minière en France ou dans la photo argentique aurait peu de chances de survie... 
2) Le dirigeant chargé du redressement doit avoir un courage, une résistance au stress et une aptitude à se forger une vision disruptive de l'entreprise hors du commun. 
3) Si le chef d'entreprise qui s'attelle à relancer la machine est celui-là même qui l'avait laissé dérailler, il faut en plus qu'il sache reconnaître ses erreurs et soit capable de revenir sur des décisions qu'il a prises. 
4) Le plan de rétablissement doit recueillir l'adhésion de la majorité des salariés et des représentants du personnel. On ne gagne pas ce type de pari contre les hommes et les femmes de l'entreprise, mais avec eux. 
5) Tout au long du processus, le patron doit dire ce qu'il fait et faire ce qu'il dit. C'est à cette seule condition qu'il conquerra deux attributs indispensables à la réussite d'un retournement : la crédibilité et la confiance. 

3. L'état d'urgence, tu décrèteras

Serge Gracieux a créé e-sama en 1995. "Pendant six ans, la société s'est bien développée, raconte le PDG. Mais, en 2001, à la suite de l'éclatement de la bulle internet, elle a perdu 340 000 euros, soit 8 % de son chiffre d'affaires. Début 2002, la situation est devenue catastrophique : nous engloutissions 100 000 euros par mois. Si nous ne réagissions pas sur-le-champ, dans six mois la société serait morte. Le lundi de Pâques, j'ai convoqué tous les actionnaires. Nous avons passé dix heures ensemble pour arrêter les actions à mener. Nous nous y sommes attaqués dès le lendemain matin. Résultat : fin avril, la société arrêtait de perdre de l'argent, et, début octobre, elle avait comblé ses déficits du premier trimestre."
On retrouve la même approche chez tous ceux qui ont réussi à remettre en selle une société mal partie. A peine nommé à la tête de Scor, Denis Kessler a martelé qu'il se donnait cent jours pour inverser la tendance. Tout comme Michel Morin chez Léon de Bruxelles...  

4. Les causes et les remèdes, tu chercheras

Après plus de trente ans de carrière dans l'informatique, couronnés par la direction générale d'IBM France et d'IBM Global Services, Gérard Jousset profitait en 2001 d'un break bien mérité lorsque Yazid Sabeg, le président de CS, est venu lui demander de l'aider à redresser l'entreprise. "Avant d'accepter, j'ai audité la société, afin de m'assurer qu'on pouvait la relancer "par le haut". En effet, tout mon parcours professionnel a consisté à développer des entreprises, et je ne me voyais pas endosser l'habit d'un coupeur de coûts."
Analyse des documents comptables, épluchage des contrats, comparaison des ratios clés de l'entreprise avec ceux de la profession, rencontres multiples avec les équipes pour "faire remonter leurs problèmes et leurs idées de solutions"... Sans le savoir, Gérard Jousset a suivi en tous points la démarche pratiquée par les experts de Butler Capital Partners au sein des entreprises dans lesquelles ils ont décidé d'investir.  
Aller sur le terrain et écouter les leaders d'opinion est très utile : "Dès mon arrivée, j'ai repéré les leaders d'opinion. Ce sont des salariés de tous niveaux hiérarchiques, qui parlent souvent beaucoup en réunion. Je les ai reçus en tête à tête et je les ai écoutés attentivement. Leurs avis m'ont été très utiles pour discerner l'origine des problèmes de l'entreprise et imaginer des remèdes", confie Michel Morin, président du directoire de Léon de Bruxelles.  

5. Un plan à douze mois, tu établiras

"On ne relance pas une entreprise en faisant des coupes. Une société qui n'a plus ni salariés ni produits à vendre est fichue !" scande, plein d'un bon sens que nombre de financiers semblent avoir oublié, Michel Nepomiastchy. Les participants aux ateliers "gestion de crise" sont donc invités à se fixer un objectif à un an. "Le chef d'entreprise doit dire où il compte amener sa société à cet horizon, grâce à quelles actions, et en suivant quel calendrier.
Puis il doit traduire cela en chiffres, sous forme d'un business plan." Cet exercice revêt une importance capitale. Il redonne de la visibilité aux clients, fournisseurs, banquiers... et de l'espoir aux salariés. "C'est un formidable outil de mobilisation, souligne Bruno César, qui dirige César Consulting Group, cabinet spécialisé dans la conduite du changement. Alors qu'ils étaient plombés depuis des mois par des problèmes juridiques et financiers hors de leur portée, soudain les collaborateurs entendent à nouveau parler métiers, compétences, qualité du travail. Cela redonne le moral !"
Etre là pour construire : "Au départ, les salariés ont pensé que je venais faire un travail d'alignement des coûts. Au fur et à mesure que le temps passait, ils ont vu que j?étais là pour construire. Pour redresser une entreprise, il faut offrir une nouvelle perspective, un coin de ciel bleu, redonner de la fierté aux gens qui y travaillent", insiste Bertrand Meheut, président du directoire de Canal+. 

6. La survie à court terme, tu organiseras

Tous les praticiens du retournement s'accordent à le dire : l'un des points les plus délicats concerne le timing des opérations. Comme le fait remarquer Walter Butler : "Pour vivre demain, il faut survivre aujourd'hui. En même temps qu'il se projette dans un avenir plus heureux, le management doit mener tambour battant des négociations en vue d'obtenir le maximum de réductions et d'étalements de dettes. Et ce, auprès de tous les créanciers : fournisseurs, organismes financiers, Urssaf, impôts..."  
Ces négociations réussiront si le chef d'entreprise parle vrai et s'appuie sur un business plan solide. A l'image de Serge Gracieux, de e-sama : "Nous avons expliqué à nos fournisseurs que, si l'entreprise payait tout ce qu'elle devait aux échéances prévues, elle mourrait. Que nous avions la volonté de régler nos dettes, mais que nous avions besoin d'un peu de temps pour passer le cap le plus difficile. Nos interlocuteurs nous ont accordé des délais, et nous ont même remerciés de les avoir prévenus." 
Les ateliers "gestion de crise" de Re-créer
Partager ses soucis avec des pairs, bénéficier du soutien d'un groupe, échanger des tuyaux et des solutions, être poussé vers une dynamique de changement. Ce qu'offrent les ateliers "gestion de crise" de l'association (loi 1901) Re-créer, c'est tout ce qu'un dirigeant de société en difficulté ne trouvera jamais dans les livres. Ces ateliers, qui réunissent une fois par mois dix à quinze chefs d'entreprise, sont animés par un patron qui a lui-même connu les affres et les nuits blanches de l'entrepreneur au bord du dépôt de bilan... avant d'aller mieux. Pour en savoir plus :  www.re-creer.com  

7. Sur les atouts de l'entreprise, tu miseras

En parallèle, il faut très vite remettre l'entreprise en situation d'exploitation bénéficiaire. "Réduire ses pertes ne suffit pas, scande Jean-Louis Detry. Une société doit générer des profits. Et des profits en ligne avec son secteur." Premier levier : redévelopper le chiffre d'affaires, en misant sur les points forts de l'entreprise. "Canal+ restait une marque très puissante, avec une image unique dans le sport et le cinéma. Nous avons donc décidé de nous recentrer et de réinvestir sur notre business de base, le contenu éditorial", indique Bertrand Meheut.
Chez Léon de Bruxelles, "nous sommes revenus à ce qui avait fait le succès de l'enseigne, un produit simple autour des moules et des frites, et une forte motivation des équipes perceptible dans la qualité du service", raconte Michel Morin. Capitalisant sur l'expertise reconnue de ses ingénieurs, le groupe CS s'est repositionné comme SSII à forte valeur ajoutée, et s'est concentré sur la conception, la mise en oeuvre et l'exploitation de systèmes critiques, où il bénéficiait d'un leadership. 

8. Les coûts inutiles, sans faiblir tu couperas

Deuxième levier du retour à la rentabilité : la réduction des charges. "Quand ça va mal, le dirigeant doit se comporter en samouraï, avoir le courage de trancher", note Bruno César. "Mais attention à le faire avec discernement, avertit Michel Nepomiastchy. Les reventes d'immobilisations, les cessions d'activités, les coupes dans les investissements et les réductions de personnel doivent être décidées en fonction de la nouvelle stratégie. Si l'entreprise veut aller davantage vers le high-tech, réduire ses budgets de R&D serait suicidaire. Et, dans un restaurant, on ne va pas se séparer d'un excellent chef, même si c'est lui qui coûte le plus cher."
C'est en suivant ces principes que Canal+ a diminué fortement ses coûts de structure et s'est retiré des domaines où il n'avait pas vocation à rester, revendant des filiales, procédant à des licenciements, etc. De même, le groupe CS a cédé des implantations étrangères, son activité ERP, une entité spécialisée dans l'assistance à la conduite urbaine... 

9. L'organigramme, à plat tu remettras

L'ultime clé du retour in bonis réside dans l'optimisation de l'organisation. "Il faut avoir l'obsession de la simplicité et de la responsabilisation", résume Bertrand Meheut. Le président de Canal+ a changé presque toute l'équipe de direction ("Je ne pouvais pas emmener le groupe vers de nouveaux horizons en gardant les mêmes personnes à sa tête"), ramené de 320 à 100 le nombre d'entités juridiques, et simplifié partout la hiérarchie.
Chez CS, Gérard Jousset a réorganisé les structures par métiers et regroupé les commerciaux dans une structure offrant ses services aux patrons d'activité en fonction des besoins. Serge Gracieux a passé en revue les compétences et les tâches de chaque collaborateur et a réaffecté une partie des salariés à des postes correspondant mieux à leurs talents et apportant plus de valeur ajoutée. 

10. Les leçons de la crise, tu tireras

L'entreprise entame une deuxième vie. Plus rien ne sera jamais comme avant. Pour le pire (elle a souvent dû licencier, déménager), mais aussi le meilleur. Car nulle société n'est revenue de l'enfer sans avoir au passage amélioré son management, sa gestion, ses relations avec l'environnement...
Tous les dirigeants cités ici ont instauré un processus régulier d'information des salariés. CS et e-sama ont mis en place des systèmes de pilotage ultra-réactifs. Léon de Bruxelles a noué des partenariats avec ses fournisseurs, leur garantissant des volumes d'achat sur plusieurs années en échange d'engagements de qualité. Canal+ s'est doté d'une charte de management qui promeut des valeurs d'éthique, de travail en équipe et d'innovation. Quelques effets, parmi une multitude, de la transformation d'un cercle vicieux en spirale vertueuse. 
Source : Le journal L'express

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